vendredi, juin 30, 2006

Whhhaaaaaaaaaa!!!

- "We were a wild, dirty, kickass band", Bob Bennett
- "We were nasty. Everything you've heard people say about us is true", Larry Parypa

Une chose est certaine : les premiers punks viennent de Seattle.



Tout commence en 1963, à Seattle, quand Buck Ormsby, bassiste des Wailers et cofondateur du label Etiquette (joli), reçoit une bande démo incroyable enregistrée dans un garage. Il n'en revient pas : "Quelle claque mémorable! Un enregistrement brut, imprégné de cette puissance terrible et déjà si particulière. Aucun label, aucune radio ne voulait d'eux. Trop sauvage, trop neuf..." Les membres de ce groupe sont de Tacoma, ville située à quelques miles de Seattle. C'est sur cette route que se trouve l'usine Boeing, le constructeur d'avions soniques qui leur inspirera leur nom : The Sonics. De jeunes garçons en apparence charmants et propres sur eux, ces Sonics diffusent pourtant dans leur musique une énergie bouillonnante et une rage intérieure encore jamais entendue.



Le groupe est né en 1961 avec, à sa tête, deux frères : Larry et Andy Parypa. Alors qu'ils débutent en jouant dans des universités et des petits clubs pour teenagers, leur père enregistre sur bande tous leurs shows. Il le fera jusqu'en 1964 (certains de ces enregistrements ont d'ailleurs survécu). En 1962, Marilyn Lodge devient la première chanteuse officielle du groupe. Elle ne restera que le temps de quelques concerts. Ray Michelson, qui la remplace rapidement, parle à Larry d'un jeune chanteur/organiste très talentueux nommé Gerry Roslie, mais quittant prématurément le groupe pour se marier, il sera suivi de Bob Goldberg, qui occupera la place de chanteur jusqu'en 1963. Ce dernier enregistrera quatre ou cinq morceaux avec le groupe avant qu'Andy Parypa ne propose à Gerry Roslie (du groupe The Searchers) de rejoindre sa bande. Les Sonics ayant déjà une petite réputation dans la région, Gerry accepte. Mais à une condition : que son batteur, Bob Bennet, et son saxophoniste, Rob Lind, viennent avec lui. The Sonics atteignent donc leur formation définitive en 1963, avec Gerry Roslie à la voix et au piano, Bob Bennet à la batterie, Andy Parypa à la basse, Larry Parypa à la guitare lead et Rob Lind au saxophone.



Après l'écoute de cette fameuse "audio tape", Buck Ormsby n'hésite pas une seconde et signe le groupe sur son label. Il les amène en studio à Seattle et, avec l'aide de l'ingénieur du son Kearny Barton, tente de capturer l'essence du groupe : ce son si brut, si immédiat. Que ce soit pour le timbre agressif de Gerry Roslie ou pour la frappe exceptionnelle de Bob Bennet, l'idée de Barton est claire : simplifier au maximum la prise de son. Ainsi, il placera un micro entre la grosse caisse et le batteur, capturant exactement ce qu'entend ce dernier et enregistrant le kit entier de la batterie, en fixera un sur chaque ampli (basse, guitare), un autre sur le saxophone, et le tour est joué. La saturation analogique naturelle des micros et des consoles de mix donne un son tellement puissant que Kearny Barton n'a pas besoin d'utiliser de compresseur ou de limiteur de son. Le groupe devra d'ailleurs systématiquement enregistrer le chant ultérieurement, car il est impossible de réaliser une prise de voix correcte tellement les musiciens jouent fort.

Les Sonics ont comme influences Elvis Presley, Jerry Lee Lewis et Little Richard, se réclamant de la folle énergie dégagée par leur musique. Une énergie, ou plutôt sauvagerie, qui les inspire et qu'ils tentent de reproduire sur chacun de leurs morceaux et à chacun de leurs concerts. Aussi bien dans ces rythmes effrénés que dans les hurlements enragés de Roslie, "Whhhaaaaaaaaaa!!!!", qui lui ont d'ailleurs valu d'être surnommé le "white Little Richard". Mais Gerry Roslie a surtout la particularité de posséder un timbre de voix exceptionnel, digne de James Brown ou des plus grands chanteurs de R&B. Sa voix raucque et légèrement cassée a incarnée le son des Sonics. Parmi leurs contemporains, ils avouent n'avoir d'estime que pour les Kinks ou Dave Clark Five. Le reste, c'est de la merde. Ils sont comme ça les Sonics. Gerry Roslie reconnaît quand même avoir une réelle admiration pour Ray Davis, sa façon de chanter et ses textes.

En novembre 1964, The Sonics sortent leur premier single, "The Witch". En face B, on trouve une reprise de "Keep'a Knockin'" de Little Richard. Mais les Sonics ne sont pas entièrement satisfaits. Ils trouvent le morceau trop léger alors qu'ils espéraient un rendu plus brutal, fidèle à leur performance scénique.



Cela n'empêchera pas le 45t. d'avoir un succès fou, devenant même la plus grosse vente de singles de toute l'histoire de la zone Nord-Pacifique des États-Unis. Et ce, grâce à Pat O'Day, célèbre animateur sur la radio KJR, qui commença par boycotter le disque pour cause de paroles soit disant misogynes, avant de le diffuser allègrement et de rendre fous tous les kids de l'époque. Le 45t. sorti précipitamment, Buck Ormsby oublie de déclarer la reprise du morceau de Little Richard en face B et se voit contraint de ressortir le disque dans une nouvelle version. Les Sonics retournent donc en studio et enregistrent finalement un tout nouveau morceau qui va devenir un énorme hit : "Psycho".

Le Single "The Witch" est donc repressé avec en face B "Psycho", et c'est à nouveau un carton. Pourtant, Buck Ormsby se souvient avoir été un peu déçu : "j'ai tout de suite su que c'etait une erreur de mettre "Psycho" en face B de "The Witch", ce morceau aurait du être leur second single. Mais j'étais jeune et tout ce que je voulais c'était sortir des disques, plein!". Peu importe, le succès est là et les Sonics font la première partie des Beach Boys au Coliseum de Seattle devant plus de 10 000 personnes. Ils mettent littéralement le feu au stade et commencent sérieusement à se faire un nom. Plusieurs producteurs s'intéressent désormais à eux. Et tout le monde attend l'album.



"Le premier album des Sonics "Here Are The Sonics" est tout simplement magistral", FAST AND FURIOUS.

Les cinq garçons entrent en studio en fevrier 1965, enregistrent une douzaine de nouveaux morceaux, auquels s'ajouteront "The Witch", "Psycho" et "Keep 'A Knockin". Cette fois-ci, le groupe enregistre dans l'urgence et dans les conditions du live. Tout le monde est très détendu, boit de l'alcool, rigole. Gerry Roslie compose des chansons merveilleuses comme le génial "Boss Hoss", le surpuissant "Have Love will Travel" ou l'incroyable "Strychnine". D'ailleurs, si vous n'êtes pas familier avec la musique des Sonics, les premières lignes de ce dernier vous ouvriront peut-être un peu les portes de leur univers :

“Some folks like water / some folks like wine / but I like the taste ... / ... of straight Strychnine
You may think it's funny / that I like this stuff / but once you've tried it / you can't get enough wooooow!"

Personne n'a jamais trouvé ce que Strychnine signifiait. Roslie : "I just wanted to sing about something that everybody else wasn't, like - what's the nastiest thing I could drink?". Le jour de l'enregistrement, tout le monde est concentré sur sa partie ou son instrument, le morceau démarre et Gerry se met à chanter. Rob l'interrompt dés les premiers mots : "WOAH, wait a minute! Strychnine? What are you fucking sayin'?!". Tout le monde est dubitatif, mais même si ce mot n'existe pas, il fonctionne du tonnerre. Et quand la chanson devient un single, une fois de plus, le public adore. L'album, qui aborde les thèmes universels des filles, des voitures, de l'alcool et de la drogue, est un énorme succès.



Très vite considéré comme culte, "Here Are The Sonics" réalise de très bonnes ventes et les singles "Boss Hoss", "The Hustler" ou "Don't be Afraid of the Dark" cartonnent encore et toujours. Pas moins de six 45t. verront le jour en cette année 1965. Le dernier single n'est autre qu'un prélude au second album en préparation : "Cinderella/Louie Louie" est sans doute le 45t. le plus sauvage que les Sonics aient jamais sorti. Enregistrées durant la même session, en pleine canicule, ces deux chansons sont un sommet d'énergie brute condensée en 2 minutes. La reprise de "Louie Louie" des Kingsmen est folle. Personne, de Iggy Pop aux Clash en passant par Blondie, ne fera une reprise aussi primitive et violente que celle des Sonics. Quant à "Cinderella", c'est un peu le "The Witch" du second album. Le même genre de riff ravageur, une rythmique à paliers qui monte en puissance, des guitares saturées. Et la voix de Roslie qui se fond dans un vacarme époustoufflant, avec l'assurance cette fois que les aiguilles de la table de mixage sont bien dans le rouge en permanence. Roslie : "The vibe I had for 'Cinderella' was kind of a cross between Ike & Tina Turner and Little Richard, in that mode. Yeah, a bit of Kinks' guitar too".

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1966. Un an après "Here Are The Sonics" sort l'album "BOOM" rempli de tubes : "Cinderella", "He's Waiting", "Louie Louie", "Shot down", "The Hustler", "Jenny Jenny" et bien d'autres encore... Le groupe va enchaîner les concerts et les tournées, jouant avec les Kinks, les Beach Boys, Ray Stevens, Herman's Hermit ou The Byrds. La maison de disques Etiquette est approchée par plusieurs majors courant 1966 et fait finalement signer les Sonics en licence avec l'une d'entre elle. Un troisième album intitulé "Introducing The Sonics" reprenant pas mal de morceaux de leurs précédents disques sortira à la fin de l'année. Ils produiront également un dernier 45t., "Any Way The Wind Blows", avec la formation originelle du groupe.

Après ça, les Sonics vont peu à peu se dissoudre. Certains entrent à l'université, d'autres forment de nouveaux groupes. Les Sonics continueront d'exister quelques années encore, avec de nouveaux membres. En 1977, Rob Lind (devenu pilote de ligne!) découvre le Punk avec les géniaux Pistols et Clash. Leur énergie réveille en lui ses molécules de Sonic et il ne peut s'empêcher d'imaginer le groupe ayant eu un succès international. Les Sonics vont se réunir en 1987 pour enregistrer des versions alternatives de certains de leurs morceaux les plus connus et donner quelques concerts (dont il reste une trace sur disque, cette fois).

40 ans plus tard, en réécoutant le son des Sonics, on ne peut que constater qu'on a guère fait mieux depuis.


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